Du 29 au 31 octobre à Bordeaux, le Forum Mondial de l’Économie Sociale et Solidaire a mis en lumière le rôle central des achats responsables dans la transition. Présent sur place, le réseau 3AR a participé aux échanges et tables-rondes, témoignant d’un engagement partagé, du local à l’international.
Dès les discours d’ouverture, la thématique des achats responsables s’invite dans les échanges. Alain Garnier, Vice-président de Bordeaux Métropole, souligne l’importance des clauses sociales dans la commande publique. De son côté, Jean-Luc Gleyze, Président du Département, met en avant le rôle stratégique des achats responsables, inscrivant son propos dans la célèbre maxime de René Dubos : « Penser globalement, agir localement. »



Les deux premiers jours du Forum ont été particulièrement riches en échanges et en découvertes. Pas moins de onze tables-rondes ont permis d’élargir nos horizons, autour de thématiques aussi variées qu’inspirantes :
- L’ESS, un vecteur de pacification sociale.
- Former, réparer, cultiver, concerter : des leviers inattendus pour une transition juste, écologique et solidaire ;
- Légitimer l’ESS par les risques : atouts et limites ;
- Coopérer pour le bien commun : la responsabilité territoriale des entreprises — où la question des marchés publics a été évoquée, notamment sous l’angle des difficultés rencontrées par les petites coopératives pour y répondre ;
- La démocratie par le faire ;
- Justice écologique et innovation sociale : pour des filières agricoles équitables et résilientes ;
- Travail décent : une nécessité pour l’empowerment ;
- Et si plus de démocratie était la solution ? ;
Notre sélection de tables-rondes consacrées à la commande publique lors du Bordeaux GSEF 2025 — et les enseignements que nous en avons tirés.

Intervenants : Valentina Caimi (Linkin Europe, Belgique) • Benjamin Gueraud-Pinet (GIP Maximilien, RTES, France)
Modération : Cédric Dupas (CRESS Île-de-France, France)
Cette table-ronde a ouvert un large panorama européen sur la commande publique socialement responsable (SRPP).
Valentina Caimi, experte européenne de Linkin Europe, a rappelé que la commande publique dans l’Union européenne est encadrée par une directive européenne, mais que son volet social reste facultatif : chaque État membre choisit de le transposer — ou non — dans son droit national.
Elle a insisté sur le rôle crucial d’un cadre juridique solide (legal framework) pour favoriser les marchés publics socialement responsables. Mais ce cadre doit s’accompagner de suivi et d’évaluation (monitoring and reporting), de montée en compétence des acteurs (capacity building), et de coopération inter-administrations afin d’assurer une mise en œuvre effective.
Les conditions favorables à la participation de l’ESS dans la commande publique reposent sur la faculté pour les structures de l’ESS de se regrouper en consortium, y compris avec des entreprises classiques, et de répondre efficacement à des marchés publics ; la présence d’un cadre légal pour l’économie sociale et de stratégies publiques en faveur de l’ESS et de la SRPP (comme les SPASER en France) et la présence de dispositifs de dialogue avec le marché, rencontres de mise en réseau, consultations d’experts et rédaction de marchés publics accessibles aux structures de l’ESS.
Le projet WeBuySocial EU a permis d’identifier différents niveaux de maturité de la SRPP selon les pays. Parmi les bonnes pratiques citées :
– La Belgique, avec son guide flamand sur les marchĂ©s rĂ©servĂ©s ;
– L’Espagne, oĂą les critères sociaux dĂ©partagent les offres Ă Ă©galitĂ© ;
– La Bulgarie et la Lituanie, oĂą certains contrats rĂ©servĂ©s sont obligatoires ;
– Malte, Ă©galement en pointe sur le sujet ;
– Et la Suède, oĂą, malgrĂ© un cadre juridique exemplaire, les clauses sociales restent davantage utilisĂ©es que les marchĂ©s rĂ©servĂ©s.
Les freins persistants sont le manque de cadres légaux, la méconnaissance du secteur de l’ESS, sa faible structuration dans certains pays, et la tendance du secteur public à adopter une posture de « prudence » (safe side).
En complément, Benjamin Gueraud-Pinet (GIP Maximilien, RTES) a présenté le contexte français : le Plan National pour les Achats Durables, les principaux chiffres de la commande publique et le rôle structurant des réseaux régionaux d’achats durables, dont 3AR fait partie.
Le temps de questions/rĂ©ponses a aussi Ă©tĂ© l’occasion de souligner le rĂ´le historique du programme national de rĂ©novation urbaine, qui a imposĂ© l’intĂ©gration de clauses sociales Ă l’ensemble des collectivitĂ©s — un tournant majeur pour la commande publique responsable en France.

Intervenants : Diego Bartalotta et Antonella Naffa (Consejo de EconomĂa Social y Popular de Avellaneda, Argentine) • Jean-Paul Betchem A Meynick (RĂ©seau des Maires Camerounais pour l’ESS, Cameroun) • Anyle CĂ´tĂ© (Conseil d’Économie sociale de l’Île de MontrĂ©al, QuĂ©bec) • Aminata Diop (FODEM, SĂ©nĂ©gal)
Modération : Barbara Sak (CIRIEC International, Belgique)
Cette table-ronde a exploré les liens entre financement local et développement de l’ESS, à travers des témoignages venus de plusieurs continents.
Au Cameroun, Jean-Paul Betchem A Meynick mène un plaidoyer pour intégrer des critères ESS dans la commande publique, afin de permettre aux collectivités de soutenir financièrement les structures locales.
Au Québec, Anyle Côté a présenté l’initiative « L’économie sociale, j’achète ! », qui mobilise les grands donneurs d’ordre publics — municipalités, sociétés de transport, aéroports ou réseaux d’électricité — autour de l’achat responsable. Ce programme a sensibilisé les institutions à l’ESS tout en outillant les entreprises sociales à répondre aux appels d’offres.
Résultat : plus de 2 000 contrats signés, représentant 75 millions de dollars canadiens. Les retombées locales sont considérables : chaque dollar investi génère un dollar de bénéfice pour le territoire.
Les acteurs publics apprécient la qualité, le professionnalisme et le rapport de confiance instauré avec les entreprises de l’ESS. Le programme continue aujourd’hui de se déployer à travers le Québec.
En Afrique, plusieurs interventions ont rappelé l’importance de formaliser l’économie informelle pour lui ouvrir l’accès aux marchés publics, et de sensibiliser les élus locaux aux bénéfices économiques et sociaux de l’ESS.
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Intervenants :
Marie Floquet (Les Canaux) • Florentin Letissier (Mairie de Paris) • Sophie Mordelet (Ville de Paris) • Fabienne Oré-Courregelongue (Ville de Bordeaux / Bordeaux Métropole / Bordeaux GSEF 2025) • Ahmed Ouazzani (Forum marocain de l’ESS) • Ronan Sohier (Ville de Paris)
Modération : Maylis Bargach (CRESS Nouvelle-Aquitaine)
Cette table-ronde a interrogé la capacité des grands événements internationaux à devenir des catalyseurs de transitions sociales et environnementales.
Florentin Letissier, adjoint à la Maire de Paris, a rappelé que les Jeux Olympiques 2024 ont généré une dynamique économique forte en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus fragiles du pays.
Des actions concrètes ont été menées : investissements dans les transports en commun, dépollution de la Seine, et mobilisation de nombreux acteurs économiques locaux.
Fait notable : ces Jeux resteront les moins coûteux de l’histoire pour la collectivité, grâce à une forte contribution du secteur privé.
Sophie Mordelet a mis en avant l’apport des SPASER dans la commande publique locale, qui permettent de cibler les structures de l’ESS et de renforcer leur accès aux marchés.
Fabienne Oré-Courregelongue a partagé l’exemple du Bordeaux GSEF 2025 : sur 2 millions d’euros de dépenses d’organisation, un quart a été réalisé auprès d’entreprises de l’ESS — un effort concret d’intégration économique locale.
Enfin, Ahmed Ouazzani a Ă©voquĂ© le Forum marocain de l’ESS dont l’organisation soulève des dĂ©bats mais reprĂ©sente, Ă long terme, une opportunitĂ© de transformation durable pour les territoires.
Tous ont insisté sur la nécessité de partager une vision commune pour faire des grands événements des accélérateurs de transitions justes, solidaires et durables.
Le vendredi 31 octobre, dernier jour du Forum Mondial de l’Économie Sociale et Solidaire, c’était au tour du réseau 3AR d’animer sa propre table-ronde : « Financement et accès des acteurs à la commande publique : deux leviers majeurs et complémentaires pour le développement de l’ESS ».
Une rencontre particulièrement riche, introduite avec brio par Mustapha Elouajidi, de la Direction de l’Achat et de la Commande publique de Bordeaux Métropole et de la Ville de Bordeaux, qui a rappelé combien ces deux leviers — financier et contractuel — sont essentiels pour structurer un écosystème économique durable et inclusif.
La table-ronde s’est ouverte avec les interventions de Sarah McKinley, experte internationale du Community Wealth Building, et de Matthew Brown, élu travailliste et leader de la Ville de Preston (Royaume-Uni).
Ensemble, ils ont présenté ce modèle économique territorial innovant, fondé sur la mobilisation des anchor institutions — ces grandes organisations publiques ou parapubliques (hôpitaux, universités, collectivités, etc.) — qui orientent leurs investissements, leurs achats et leurs emplois vers l’économie locale.
Matthew Brown a partagé l’expérience emblématique de la « Preston Model », souvent citée comme un cas d’école : face à la désindustrialisation et à la fuite des capitaux, la ville a choisi de relocaliser la commande publique, de soutenir la création de coopératives locales et de réinvestir les dépenses publiques dans le tissu économique du territoire.
Résultat : une réappropriation collective de la richesse produite, une croissance inclusive et un renforcement du pouvoir d’agir des acteurs locaux.
La discussion s’est poursuivie avec l’intervention de Bastien Bernela, Vice-Président du réseau 3AR, accompagné de Maylis Bargach de la CRESS Nouvelle-Aquitaine, venus présenter le PRASER (Parcours des Achats Socialement et Écologiquement Responsables).
Ce dispositif vise à faciliter l’accès des structures de l’ESS aux marchés publics du territoire néo-aquitain, en créant des passerelles concrètes entre acheteurs publics et entreprises sociales.
Le PRASER se décline à travers plusieurs actions :
- des formations spécifiques pour les structures de l’ESS afin de mieux comprendre les procédures d’achat public ;
- des rencontres acheteurs-fournisseurs, les célèbres « ESSpressos », qui favorisent la mise en relation directe et la découverte d’opportunités de marchés ;
- et un accompagnement à la structuration des offres, permettant aux entreprises de l’ESS de mieux valoriser leurs atouts dans les appels d’offres.
Un exemple concret a été partagé autour du marché traiteur du Département de la Gironde, qui a permis de démontrer la capacité des structures de l’ESS à répondre de manière compétitive et qualitative à des besoins publics.
Bastien Bernela a également souligné, à partir de son expérience sur le territoire de Grand Poitiers, combien les entreprises de l’ESS peuvent proposer des réponses innovantes aux enjeux environnementaux, notamment en matière de circuits courts, de réemploi ou de gestion des ressources.
Enfin, la table-ronde a permis de donner la parole aux représentants de Bordeaux Métropole et de la Ville de Bordeaux, à travers les témoignages de Fabien Billet, acheteur, et de Charles Réveillard, du Centre ESS et Entrepreneuriat.
Tous deux ont partagé les initiatives locales mises en œuvre pour intégrer davantage les structures de l’ESS dans la commande publique, illustrant la volonté politique et l’engagement opérationnel des collectivités bordelaises.
Cette table-ronde a mis en lumière la complémentarité entre politiques d’achat, financement public et dynamiques territoriales.
Elle a également montré que la transformation des pratiques d’achat peut devenir un levier puissant de développement économique local, à condition de miser sur la coopération entre acteurs publics, réseaux de l’ESS et entreprises du territoire.

La photo finale !!!